Enseignement de spécialité DANSE - Première
Ma Giselle
Réinterpréter un classique par la création chorégraphique
Sommaire
Séance 1 - Jeux d’improvisation et analyse des relectures de Giselle
- Giselle de Coralli et Perrot : analyse des composantes du mouvement dans le ballet romantique
- Giselle de Mats Ek – une héroïne terrienne et marginale
- Giselle d’Akram Khan – une fusion des cultures et une critique sociale
- Giselle de Dada Masilo – une relecture africaine et féministe
Séance 2 - Mon personnage de Giselle
Séance 3 - Le personnage de Myrtha
- Myrtha dans Giselle de Coralli et Perrot – Reine glacée du ballet romantique
- Myrtha selon Mats Ek – Force froide, femme dure, figure de système
- Myrtha chez Akram Khan – Leader spirituelle et gardienne de mémoire
- Myrtha chez Dada Masilo – La sangoma vengeresse
Séance 4 : Giselle et le Prince : l’évolution d’un duo
- Giselle et le Prince chez Coralli & Perrot – Du charme à la grâce du pardon
- Giselle et le Prince chez Mtas Ek – Le duo comme renaissance
- Giselle et le Prince chez Akram Khan – De la fracture sociale à l’intimité rituelle
- Giselle et le Prince chez Dada Masilo – Danser la rupture et l’insoumission
Séance 5/6/7 - Faire des choix : danser sa Giselle, Myrtha ou le duo
- Dossier de création – Note d’intention
Activité 8 - Co-évaluation - présenter et questionner sa Giselle
Et si Giselle, héroïne fragile du ballet romantique de 1841, devenait une figure de révolte, de mémoire ou de fusion culturelle ? Ce cours invite les élèves à analyser les versions de Mats Ek, Akram Khan et Dada Masilo pour imaginer leur propre relecture chorégraphique de Giselle
Dossier - Analyse du sujet
Sujet : En vous inspirant des transformations opérées par les chorégraphes contemporains sur Giselle, imaginez votre propre réinterprétation d’une scène du ballet romantique, en détournant ses codes gestuels, narratifs et scénographiques.
Les thèmes du sujet :
« Réinterpréter Giselle : du ballet romantique aux détournements contemporains »
Ce thème invite les élèves à analyser la façon dont des chorégraphes comme Mats Ek, Dada Masilo ou Akram Khan ont revisité l’œuvre de Coralli et Perrot (1841) pour en proposer des versions nouvelles, parfois critiques, en s’affranchissant des codes romantiques.
Définition des mots clefs du sujet :
Relecture : dans le champ artistique, une relecture implique une approche nouvelle d’une œuvre existante, en conservant certains de ses traits originaux tout en en modifiant l’esthétique, la narration ou le langage gestuel.
Codes académiques : ensemble de conventions techniques et esthétiques propres au ballet classique (verticalité, pointes, hiérarchie scène/spectateur, pas codifiés).
Détournement : processus créatif qui consiste à transformer une œuvre existante pour en changer le sens ou l’esthétique (procédés de décalage, rupture, hybridation).
Personnage dansé : construction chorégraphique et expressive d’un rôle à travers le mouvement, l’émotion et la dramaturgie.
Questionnement
Quels sont les traits gestuels et thématiques qui définissent le ballet romantique Giselle (fragilité, amour, trahison, folie, surnaturel) ?
Quels procédés de détournement (écriture chorégraphique, traitement des personnages, scénographie) ont été mis en œuvre par Mats Ek, Dada Masilo ou Akram Khan ?
Comment puis-je, en tant qu’élève-créateur, m’inspirer de ces démarches pour inventer « Ma Giselle » (mon personnage, ma vision) ?
Comment le travail collectif peut-il transformer cette relecture en une création chorégraphique cohérente ?
Problématique
En explorant la gestuelle et les thématiques du ballet Giselle, proposez une lecture personnelle qui s’affranchit des codes classiques. Comment pouvez-vous, par votre danse, raconter une Giselle d’aujourd’hui ?
Séance 1 : Jeux d’improvisation et analyse des relectures de Giselle
1. Analyse collective et tableau comparatif
Observez et comparez la version originale de Giselle (Coralli et Perrot, 1841) avec ses relectures contemporaines : Mats Ek (1982), Dada Masilo (2017) et Akram Khan (2016).
À partir des extraits vidéo, relevez les caractéristiques principales en vous appuyant sur les composantes du mouvement :
Corps : technique utilisée (classique, contemporaine, fusion…), segments du corps mobilisés, langage corporel.
Espace : rapport au sol, orientations, niveaux.
Temps : vitesse, rythmes, contrastes.
Flux : continuité, fluidité, saccades, ruptures.
Poids : légèreté, ancrage, suspensions.
Relation : rapport au partenaire, au groupe, au spectateur.
Complétez collectivement un tableau comparatif.
Giselle, Jean Coralli & Jules Perrot, 1841.
Giselle, Mats Ek, 1982 (Ballet Cullberg).
Giselle, Akram Khan, 2016 (English National Ballet).
Giselle, Dada Masilo, 2017 (South African Dance Company).
Giselle | Giselle (Coralli & Perrot, 1841) | Mats Ek (1982) | Dada Masilo (2017) | Akram Khan (2018) |
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Corps (technique, segments, langage corporel) | ||||
Espace (niveaux, orientation, rapport au sol) | ||||
Temps (rythme, vitesse, contrastes) | ||||
Flux (continu, saccadé, ruptures) | ||||
Poids (légèreté, ancrage, suspensions | ||||
Relation (partenaire, groupe, spectateur) |
Situation 2 : Improvisation solo
Choisissez une des quatre versions observées et inventez un solo en intégrant au moins trois des caractéristiques relevées dans le tableau. Il ne s’agit pas de reproduire les pas, mais de traduire l’essence du style, l’intention, l’émotion ou le vocabulaire corporel.
Situation 3 : Présentation et analyse collective
Chaque solo sera présenté à la classe, qui devra deviner la version de Giselle évoquée ainsi que les caractéristiques mises en avant (corps, espace, temps, etc.).
Dossier - Giselle de Coralli et Perrot : les codes du ballet romantique
Giselle de Coralli et Perrot : analyse des composantes du mouvement dans le ballet romantique
Créé en 1841 à l’Opéra de Paris, Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot est considéré comme l’apogée du ballet romantique. Ce chef-d’œuvre raconte l’histoire de Giselle, une jeune paysanne innocente qui meurt de chagrin après la trahison d’Albrecht. Devenue une « wili », elle sauvera néanmoins son amant grâce à la puissance de son amour. Ce ballet illustre les thèmes clés du romantisme : l’idéalisation de la femme, le surnaturel, la fragilité des émotions et la confrontation entre réalité et imaginaire. L’analyse des composantes du mouvement – corps, espace, temps, flux, poids et relation – révèle comment la chorégraphie traduit à la fois le raffinement académique et la dramaturgie poétique.
1. Le corps : technique et langage expressif
Le rôle de Giselle, interprété à l’origine par Carlotta Grisi, exige une technique classique virtuose. Le travail sur pointes, introduit par Marie Taglioni, symbolise l’élévation et la pureté. Le buste se maintient droit et noble, tandis que les bras dessinent des arcs souples et arrondis, accentuant la grâce et la féminité. Dans l’acte I, Giselle exprime sa joie de vivre par des sauts légers, des arabesques et des attitudes élégantes, comme dans sa variation où chaque mouvement semble effleurer l’air.
La scène de la folie, moment dramatique de la fin de l’acte I, rompt ces codes : le corps perd sa verticalité, les bras deviennent erratiques, les pas se désorganisent. Giselle mime son souvenir du bal et de son amour, répétant des gestes avec une intensité croissante, jusqu’à s’effondrer. Ce basculement corporel souligne l’intensité émotionnelle du personnage.
2. L’espace : du village au royaume des Wilis
L’acte I, situé dans un village, valorise la convivialité : les danses collectives paysannes utilisent des cercles, des rondes et des lignes, donnant une image vivante et animée de la communauté. Giselle occupe souvent le centre de l’espace, renforçant sa place de protagoniste. Les pas de deux avec Albrecht s’articulent autour d’entrées et de sorties en diagonale, jouant avec la profondeur de la scène à l’italienne.
L’acte II contraste radicalement : la forêt et les Wilis imposent une géométrie stricte et symétrique, créant une atmosphère à la fois hypnotique et menaçante. Le corps de ballet féminin se déplace en lignes horizontales ou diagonales parfaites, renforçant l’image d’une armée spectrale. L’espace est pensé pour amplifier l’impression d’apesanteur et de mystère, comme dans le grand tableau des Wilis, où leurs déplacements synchrones enveloppent Albrecht.
3. Temps, flux et relations dramatiques
La musique d’Adolphe Adam accompagne chaque changement d’émotion, guidant le rythme de la danse. Dans l’acte I, les tempi rapides soulignent la joie des scènes villageoises, tandis que la scène de la folie ralentit, donnant l’impression que le temps se suspend. Dans l’acte II, les Wilis dansent sur un flux régulier et continu, renforçant leur nature surnaturelle et leur dimension immuable.
Le poids du mouvement varie selon les personnages : léger et aérien pour Giselle et Albrecht (portés, suspensions), plus terrien et marqué pour les paysans, ou autoritaire et ferme pour Myrtha, la reine des Wilis, qui impose sa volonté par des gestes amples et nets.
La relation entre Giselle et Albrecht, particulièrement dans le pas de deux de l’acte II, se construit sur des élans, des portés et des regards chargés d’émotion. Cette danse, où Giselle semble flotter entre les bras d’Albrecht, symbolise le pardon et la transcendance.
Dans chaque axe, ces chorégraphes posent un regard critique sur le monde qui les entoure en utiliGiselle de Coralli et Perrot incarne l’esthétique romantique dans toute sa pureté : un langage académique raffiné, une gestuelle empreinte de poésie et une organisation scénique qui raconte une histoire d’amour et de mort. Les variations de qualités de mouvement (fluidité, suspension, poids) servent le drame et les émotions des personnages. Ce ballet, qui fixe les codes du romantisme, devient un point de départ incontournable pour les chorégraphes contemporains comme Mats Ek, Dada Masilo ou Akram Khan, qui le revisiteront pour le transformer en miroir du monde actuel.
Dossier - Giselle revisitée par Mats Ek
Giselle de Mats Ek – une héroïne terrienne et marginale
En 1982, Mats Ek propose une relecture radicale de Giselle, chef-d’œuvre romantique de Coralli et Perrot (1841). Le chorégraphe suédois, issu du théâtre et marqué par l’influence de sa mère Birgit Cullberg, substitue à la ballerine romantique une héroïne terrienne, expressive et marginale. Sa Giselle, pieds nus et pleine de vitalité, s’ancre dans un univers rural contemporain, loin de l’idéalisation éthérée du XIXᵉ siècle. Ek décompose les personnages pour en révéler la part psychologique et brute, en mêlant mouvements du quotidien, gestes expressifs et ruptures de style.
1. Le corps : vitalité, gestes bruts et expressivité
La Giselle de Mats Ek n’est pas une jeune fille fragile, mais une figure énergique et impulsive, qualifiée par Ek lui-même d’« idiote du village ». Contrairement à la verticalité académique, elle danse pieds nus, les genoux fléchis, le dos voûté, et caresse la terre de ses mains. Ses sauts puissants alternent avec des gestes du quotidien : se gratter, tousser, se cacher le visage, exprimer la rage ou la joie par des mouvements compulsifs. Dans la scène de la trahison, elle ne s’évanouit pas mais explose de colère, renversant les stéréotypes de douceur féminine. Cette corporalité traduit un personnage sans artifice, en contact direct avec ses émotions.
2. L’espace : du village contemporain à l’asile imaginaire
Ek transpose l’action dans un milieu rural dépouillé, aux allures de ferme, où les villageois observent Giselle comme une marginale. L’espace scénique devient un lieu de tension sociale, où les danses de groupe, loin des rondes harmonieuses de la version romantique, se fragmentent en lignes asymétriques et en amas disloqués. L’acte II abandonne le surnaturel des Wilis pour un univers plus sombre : Giselle est enfermée dans un asile métaphorique, entourée de femmes « atteintes de troubles mentaux » que dirige une Myrtha plus terrienne que spectrale. Le rapport à l’espace y est oppressant, les corps étant contraints et le sol souvent sollicité.
3. Temps, flux et relations dramatiques
Le temps chorégraphique chez Ek est irrégulier et imprévisible : alternance d’accélérations soudaines, de suspensions et de gestes fragmentés, comme des éclats de mémoire ou de rêve. Le flux du mouvement oscille entre continuité et ruptures, exprimant les contradictions des personnages. Les relations sont profondément transformées : le pas de deux entre Giselle et Albrecht n’est plus une danse de séduction gracieuse, mais un dialogue physique, parfois violent. Giselle prend l’initiative des contacts, bousculant la hiérarchie homme/femme. Dans la scène finale, Albrecht, nu et vulnérable, revient vers Giselle dans un geste de rédemption, tandis qu’Hilarion le couvre d’une couverture, symbole de compassion et d’humanité.
La Giselle de Mats Ek rompt avec les codes académiques et romantiques, au profit d’une danse ancrée dans le réel, hybride et profondément humaine. Par son langage chorégraphique mêlant gestes du quotidien, torsions et mouvements organiques, Ek démythifie les personnages et révèle leur vérité psychologique. Cette relecture, qui met en lumière les exclus et les opprimés, reste aujourd’hui une référence incontournable dans l’histoire des relectures contemporaines de grands ballets classiques.
Dossier - Giselle d’Akram Khan
Giselle d’Akram Khan – une fusion des cultures et une critique sociale
Créée en 2016 pour l’English National Ballet, la Giselle d’Akram Khan offre une relecture profondément contemporaine et politique du ballet romantique de 1841. Chorégraphe reconnu pour sa capacité à fusionner danse contemporaine et kathak (danse classique indienne), Khan transpose l’histoire de Giselle dans un monde de migrants et d’injustices sociales, inspiré par des drames contemporains comme l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh (2013). Avec la complicité de Tamara Rojo, directrice de l’ENB, Khan conserve le thème central de l’amour trahi et du pardon, tout en revisitant les codes gestuels, la scénographie et la musique pour leur donner une force actuelle et universelle.
1. Le corps : hybridation entre ballet, kathak et modernité
La danse d’Akram Khan mêle le vocabulaire classique (arabesques, lignes et ports de bras) à des mouvements inspirés du kathak : frappes de pieds, spirales rapides, mains précises et expressives. Les danseurs alternent entre une gestuelle verticale et aérienne, héritée du ballet, et des ancrages au sol puissants, avec des torsions du buste et des gestes circulaires.
Exemple : dans les passages collectifs, les migrants-danseurs frappent le sol du pied et effectuent des rotations rapides, rappelant les rythmes et l’intensité du kathak, tout en gardant une composition chorale proche du corps de ballet classique.
2. L’espace : un mur comme symbole de division sociale
L’un des éléments marquants de la scénographie est le mur monumental conçu par Tim Yip, qui occupe la scène et symbolise les barrières sociales, économiques et politiques. Le premier acte met en scène une communauté de travailleurs migrants face à une élite dominante, ce qui remplace la traditionnelle opposition entre paysans et aristocrates.
Exemple : les danseurs grimpent ou se heurtent au mur, évoquant une lutte pour franchir les obstacles d’un monde inégalitaire. Dans l’acte II, cet espace devient un territoire d’exclusion et de vengeance, où Giselle, morte d’injustice, réapparaît avec les âmes des opprimés.
3. Temps, flux et relations
La musique de Vincenzo Lamagna, inspirée de la partition d’Adolphe Adam, conserve certains leitmotivs mais les transforme par des soundscapes, des percussions sourdes et des instruments graves, donnant à l’œuvre une atmosphère dramatique et sombre. Le temps chorégraphique alterne entre des séquences lentes et cérémonielles (évoquant des rites funèbres) et des explosions de vitesse et de puissance collective.
Les relations entre Giselle et Albrecht s’éloignent du romantisme : leur pas de deux met en avant la fragilité et la douleur, mais aussi la lutte sociale. Exemple : Giselle ne pardonne pas immédiatement ; son corps exprime tour à tour la souffrance, la colère et la révolte, avant d’atteindre un geste final d’humanité.
Avec cette Giselle, Dada Masilo réinvente une œuvre emblématique en y injectant la force du corps africain, la vitesse contemporaine et un discours féministe fort. Sa danse hybride, ancrée et explosive, donne à Giselle une nouvelle voix, celle d’une femme qui refuse la soumission et réclame justice. Par sa réécriture chorégraphique et musicale, Masilo transforme la tragédie romantique en une célébration de la puissance collective et du droit à la colère.
Dossier - Giselle de Dada Masilo
Giselle de Dada Masilo – une relecture africaine et féministe
En 2017, Dada Masilo, chorégraphe sud-africaine, propose une réinterprétation de Giselle qui s’éloigne radicalement du ballet romantique de Coralli et Perrot. Après avoir revisité Carmen et Le Lac des cygnes, elle aborde cette œuvre avec un regard féministe et engagé, où la trahison, la colère et la vengeance remplacent le pardon et la douceur de la version originale. Pour ce faire, elle crée un nouveau langage chorégraphique qui mêle danse contemporaine, gestuelle africaine et références classiques. La musique, composée par Philip Miller, réinvente la partition d’Adolphe Adam en intégrant des percussions africaines, des voix et des cordes occidentales.
1. Hybridation
Le vocabulaire gestuel de Dada Masilo se caractérise par une énergie explosive, des mouvements rapides et une grande liberté d’exécution. Les danseurs alternent entre les lignes et arabesques inspirées du ballet classique et des mouvements ancrés dans le sol, propres aux danses africaines : frappes de pieds, torsions du buste, vibrations et pulsations.
La Giselle de Masilo n’est plus la jeune fille fragile et éthérée, mais une femme combative, capable d’exprimer sa rage et son désir de vengeance par des gestes saccadés, des sauts puissants et des courses frénétiques. La scène où Giselle découvre la trahison d’Albrecht est marquée par des contractions du torse et des frappes de pieds, évoquant un cri du corps, loin des évanouissements gracieux de la version de 1841.
2. L’espace : circularité et dynamique de groupe
Masilo utilise l’espace scénique comme un lieu de rituel collectif. Les Wilis, loin des fantômes gracieux et identiques du ballet romantique, forment une communauté féminine unie et guerrière. Leurs déplacements circulaires et leurs gestes synchrones rappellent les danses tribales africaines.
Dans les scènes de groupe, l’espace est sans cesse traversé par des courses rapides, des diagonales tranchantes et des formations éclatées, créant un effet de chaos maîtrisé qui contraste avec la rigidité symétrique des ballets classiques.
Exemple : l’acte II se transforme en un espace de vengeance collective, où les Wilis, conduites par une Myrtha au charisme imposant, condamnent Albrecht avec une énergie implacable.
3. Temps, flux et relations
Le rythme des danses, soutenu par les percussions africaines et les voix, est plus rapide et pulsé que dans la version originale. Masilo joue avec les changements de dynamique : les moments de deuil sont marqués par des gestes lents et lourds, tandis que la colère et la vengeance éclatent dans des séquences frénétiques, au flux saccadé.
La relation entre Giselle et Albrecht est moins romantique que dans la version de Coralli et Perrot. Elle se teinte de confrontation et de violence, traduite par des duos où le contact est direct, frontal et parfois brutal, comme lorsqu’elle le repousse ou le frappe pour exprimer sa douleur. Contrairement à la Giselle romantique, celle de Masilo ne pardonne pas : le pas de deux final devient un acte de rupture.
Avec cette Giselle, Dada Masilo réinvente une œuvre emblématique en y injectant la force du corps africain, la vitesse contemporaine et un discours féministe fort. Sa danse hybride, ancrée et explosive, donne à Giselle une nouvelle voix, celle d’une femme qui refuse la soumission et réclame justice. Par sa réécriture chorégraphique et musicale, Masilo transforme la tragédie romantique en une célébration de la puissance collective et du droit à la colère.
Séance 2 - Mon personnage de Giselle
Situation 1 : Lecture, choix des mots-clés et brainstorming
Objectif : découvrir la psychologie des différentes Giselle et identifier celle qui t’inspire.
Consignes :
Lire attentivement les 4 textes qui présentent les différentes versions de Giselle (Coralli & Perrot, Mats Ek, Dada Masilo, Akram Khan).
Souligner les mots ou expressions qui décrivent le mieux la personnalité de Giselle dans chaque texte.
Choisir 3 à 5 mots-clés pour résumer la psychologie de chaque Giselle.
Réfléchir : “Quelle Giselle me parle le plus ?”
Est-ce la Giselle romantique, fragile et innocente ?
Ou celle de Mats Ek, marginale et en colère ?
Ou encore celle de Dada Masilo, combative, ou celle d’Akram Khan, leader et résistante ?
Écrire 5 mots-clés pour définir “ta” Giselle, celle que tu souhaites incarner dans la chorégraphie.
1. Giselle (Coralli & Perrot, 1841)
« Giselle incarne la jeune paysanne innocente, passionnée, soumise à une émotion si pure qu’elle en devient tragique. Quand elle découvre la vérité, sa naïveté se brise, elle sombre dans la folie, illustrant la fragilité de l’âme romantique et son idéal d’amour absolu. »
(Texte inspiré de la thématique traditionnelle des notes introductives au ballet romantique)
2. Giselle de Mats Ek (1982)
« Dans sa version, Mats Ek transforme Giselle en figure marginale du village, une simplette naïve, abusée par un jeune homme. Dévastée, elle bascule dans une folie exprimée par des mouvements répétitifs et compulsifs. Ek remplace l’idéal romantique par une vérité sociale et psychologique crue. »
3. Giselle de Dada Masilo (2017)
« Dada Masilo aborde Giselle sous un angle résolument féministe : la jeune femme ne pardonne pas, elle incarne le deuil, la colère et la vengeance. Son désir inassouvi de danser devient moteur de rébellion. Le personnage se libère de l’image romantique pour devenir une force collective et politique. »
4. Giselle d’Akram Khan (2016)
« Mon approche est une réécriture sociale de Giselle : je la conçois comme une leader forte, non soumise, refusant d’incliner son esprit devant l’injustice. Elle incarne la résistance, le refus de l’oppression, tout en portant le poids de la souffrance et de la perte. »
Ma Giselle | |
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Choisi l’une des phrases et justifie ta réponse | |
Analyse de la phrase choisie - Mots clefs Brain storming | |
Comment vais-je traiter ces idées par le corps, l’espace, le temps et le flux dans mon solo? | |
Analyse du groupe de mon solo et recyclage par le groupe de nos travaux individuels |
Situation 2 : Improvisation et création d’un solo (1 minute)
Objectif : transformer des mots-clés en mouvement dansé.
Consignes :
Explorer des gestes inspirés des mots choisis (exemple : fragilité → gestes suspendus, colère → frappes au sol).
Transformer chaque mot-clé en un geste ou une courte phrase dansée.
Assembler les 5 gestes choisis pour composer un solo d’environ 1 minute.
Répéter le solo et donner un titre ou une intention personnelle (exemple : “Giselle rebelle”, “Giselle en colère”).
Situation 3 : Présentation et devinette
Objectif : apprendre à lire et reconnaître un style chorégraphique.
Consignes :
Présenter ton solo devant la classe.
Observer la danse des camarades et deviner quelle Giselle (romantique, Mats Ek, Masilo ou Khan) a inspiré chaque danse.
Noter les mots-clés perçus dans le solo de chacun.
Participer à l’échange collectif pour identifier les émotions et les univers chorégraphiques évoqués.
Séance 3 - Le personnage de Myrtha
Situation 1 : Observation et analyse
Objectif : comprendre les caractéristiques gestuelles et psychologiques de Myrtha selon les chorégraphes.
Consignes :
Regarder les extraits vidéo de Myrtha (4 versions).
Noter les gestes, attitudes et qualités de mouvement qui traduisent son autorité et sa rigidité (exemples : bras tendus et coupants, immobilités marquées, regards droits).
Compléter un tableau comparatif (un colonne par chorégraphe) en relevant :
Composantes du mouvement : corps (segments mobilisés), espace (formes, orientations), temps (rythmes), flux (saccadé/continu), poids (lourd/léger), relation (au groupe, au sol, au spectateur).
Identifier 3 mots-clés pour Myrtha dans chaque version (exemples : impérieuse, glaciale, guerrière).
Giselle, Jean Coralli & Jules Perrot, 1841.
Giselle, Mats Ek, 1982 (Ballet Cullberg).
Giselle, Akram Khan, 2016 (English National Ballet).
Giselle, Dada Masilo, 2017 (South African Dance Company).
Myrtha | Giselle (Coralli & Perrot, 1841) | Mats Ek (1982) | Dada Masilo (2017) | Akram Khan (2018) |
---|---|---|---|---|
Corps (technique, segments, langage corporel) | ||||
Espace (niveaux, orientation, rapport au sol) | ||||
Temps (rythme, vitesse, contrastes) | ||||
Flux (continu, saccadé, ruptures) | ||||
Poids (légèreté, ancrage, suspensions | ||||
Relation (partenaire, groupe, spectateur) |
Situation 2 : Improvisations guidées
Objectif : explorer corporellement les qualités de Myrtha.
Consignes :
Improviser autour de 3 qualités universelles de Myrtha :
Autorité (postures verticales, gestes nets, regard frontal). Froideur (mouvements lents, distance émotionnelle, immobilité). Rigidité (corps tonique, articulations fermées, blocages).
S’inspirer des vidéos vues précédemment pour alterner des gestes amples (Coralli) et des gestes ancrés (Ek ou Masilo).
Créer une phrase courte qui résume “ta Myrtha” en associant au moins 3 mots-clés choisis.
Situation 3 : Composition et présentation
Objectif : composer une courte étude chorégraphique en solo et développer l’analyse collective.
Consignes :
Composer un solo de 30 secondes à 1 minute, à partir de la phrase créée en improvisation.
Présenter ce solo devant la classe.
Observer et analyser :
Quels gestes ou qualités évoquent la Myrtha romantique, contemporaine ou guerrière ?
Quelles différences entre une Myrtha “éthérée” (Coralli) et une Myrtha “terrienne” (Masilo ou Ek) ?
Dossier - Giselle de Coralli et Perrot : Myrtha, figures d’autorité
Myrtha dans Giselle de Coralli et Perrot – Reine glacée du ballet romantique
Créée en 1841, Giselle s’inscrit pleinement dans l’esthétique du ballet romantique. Si le personnage-titre concentre l’émotion dramatique de la pièce, celui de Myrtha, reine des Wilis, introduit une autre tonalité : celle du pouvoir implacable, de la froideur et de la vengeance fantomatique. Myrtha incarne la force surnaturelle des Wilis, ces jeunes fiancées mortes avant leurs noces, condamnées à hanter les nuits et à danser jusqu’à la mort les hommes qui les croisent. À travers sa gestuelle, sa présence scénique et sa relation aux autres personnages, Myrtha devient l’emblème d’un pouvoir féminin surnaturel, mystérieux et sans concession.
1. Un corps stylisé au service d’un pouvoir surnaturel
La chorégraphie de Myrtha repose sur une gestuelle haute, verticale, et symétrique. Son corps semble guidé par une force au-delà du réel : pas glissés, arabesques tenues, bras déployés comme des ailes, évoquent une créature éthérée et sans attache terrestre. L’entrée de Myrtha sur scène est emblématique : elle effectue de grands pas de bourrée en glissade, semble flotter sur scène, les bras courbes et immobiles, marquant une autorité distante.
Son langage corporel n’exprime ni tendresse ni émotion visible : tout en elle est maîtrise, froideur et retenue, incarnée dans des postures symétriques, un visage impassible et une utilisation rigide de l’espace. Le corps devient une figure de pouvoir abstrait.
2. L’espace : le territoire glacé d’une reine vengeresse
Myrtha règne sur un espace nocturne et spectral. Dans le deuxième acte, la forêt devient son royaume : une clairière baignée de brume, baignée d’un clair de lune irréel. Elle s’y déplace en lignes droites, courbes parfaites, tracés géométriques, qui traduisent sa domination absolue sur les autres Wilis et sur le destin des hommes.
Lorsqu’elle convoque ses suivantes, Myrtha déploie une autorité sans faille : un simple geste du bras ou un regard fixe suffit à ordonner la danse ou condamner Albrecht. L’espace n’est plus un lieu d’échange, mais un espace de domination et de sentence, où elle impose le rythme, la structure et la fin de l’action.
3. Temps, flux et relation aux autres personnages
Le temps chorégraphique de Myrtha est marqué par une régularité mécanique et une rigueur formelle : elle avance selon des rythmes lents, précis, sans fluctuation apparente. Cela contraste fortement avec l’agitation émotionnelle d’Albrecht ou la présence fluide et pardonnante de Giselle.
Sa relation avec les autres personnages est univoque et autoritaire. Elle n’écoute pas, ne négocie pas, ne faillit pas. Lorsqu’elle condamne Hilarion à danser jusqu’à l’épuisement, elle ne manifeste aucun état d’âme. Son interaction avec Giselle est tout aussi rigide : elle tente de soumettre la jeune femme à l’ordre des Wilis, sans tenir compte de ses sentiments.
Le flux de ses gestes – précis, contenus, jamais abandonnés – traduit une autorité glacée, distante, presque divine. C’est une figure de loi, non d’émotion.
Dans la version romantique de Giselle, Myrtha incarne la figure d’une justice impitoyable, féminine et surnaturelle. Par son corps stylisé, son utilisation du temps et de l’espace, et sa relation d’autorité absolue aux autres personnages, elle s’oppose à la douceur tragique de Giselle. Elle demeure l’une des figures les plus saisissantes du ballet romantique : une reine des ombres, impassible et implacable, dont la présence domine tout l’acte II
Dossier - Giselle revisitée par Mats Ek : Myrtha, présences dominantes
Myrtha dans Giselle de Coralli et Perrot – Reine glacée du ballet romantique
Dans sa relecture radicale de Giselle en 1982, le chorégraphe suédois Mats Ek déplace l’histoire dans un univers psychiatrique et social. Le monde romantique cède la place à un décor clinique, réaliste, où chaque personnage devient le reflet d’un dysfonctionnement sociétal. Le personnage de Myrtha, loin de la reine spectrale et évanescente de la tradition, devient une femme autoritaire, contrôlante, presque carcérale. Elle n’est plus une créature de l’au-delà, mais une figure de pouvoir terrestre, concrète, ancrée dans la matière et la rigidité. À travers elle, Ek explore une autre forme d’autorité : brutale, impénétrable, dénuée de compassion.
1. Un corps sculpté par la tension et le contrôle
Chez Mats Ek, le corps de Myrtha est anguleux, fermé, structuré. Elle se déplace avec une énergie sèche, découpée, évitant toute forme de suspension ou de lyrisme. Sa gestuelle s’apparente à une danse de commandement, presque militaire : bras rigides, port de tête haut et fixe, mouvements frontaux et tranchants.
La Myrtha d’Ek n’est pas fluide ni flottante : elle marche lourdement, ancrée dans le sol, dégageant une tension permanente. Le travail du regard, toujours fixe et dirigé, accentue cette impression d’une autorité sans faille.
Elle impose une présence par l’immobilité contenue, et lorsqu’elle bouge, c’est pour couper l’espace avec des gestes secs, précis, impérieux.
2. L’espace : un territoire de domination mentale
Dans la version d’Ek, l’espace n’est pas surnaturel, mais institutionnel. Myrtha semble diriger un système, comme une cheffe de service dans un monde clos, étouffant. Elle contrôle les déplacements des autres femmes (anciennes Giselle ? Wilis reconfigurées ?), qui obéissent à ses indications comme à des ordres implicites.
Elle se déplace souvent au centre ou à l’avant-scène, installée comme un repère stable autour duquel les autres gravitent. Cette centralité spatiale traduit sa domination intellectuelle et comportementale.
Loin de la brume onirique du romantisme, elle évolue dans un décor nu, géométrique, qui souligne la brutalité de ses décisions et l’absence d’échappatoire pour les autres personnages.
3. Temps, flux et relation aux autres personnages
Le temps chorégraphique de Myrtha est marqué par des ruptures soudaines, des gestes bloqués, des impulsions nettes. Elle agit sans transition, comme si aucune émotion ne filtrait entre décision et exécution.
Ses relations sont purement hiérarchiques : elle domine sans communiquer. Il n’y a aucun échange réel avec Giselle, seulement des oppositions de gestes, des postures d’ordres, des renvois autoritaires.
Le flux de sa danse est saccadé, parfois presque robotique. Elle agit comme une fonction, une loi, déshumanisée. Son autorité vient de cette absence d’émotion : elle est l’institution, la règle, le verdict. Cela rend sa présence glaçante, presque inhumaine.
Chez Mats Ek, Myrtha perd son aura magique pour devenir une incarnation du pouvoir social dans ce qu’il a de plus rigide et impitoyable. À travers un corps anguleux, une spatialité de contrôle et un temps chorégraphique brutal, elle n’est plus reine des esprits, mais gardienne d’un système. Figure d’une autorité dure, presque carcérale, elle impose une autre lecture du personnage : non plus spectrale et éthérée, mais hyper-concrète, inflexible, et dénuée de compassion.
Dossier - Giselle d’Akram Khan, Myrtha, figures de pouvoir
Myrtha chez Akram Khan – Leader spirituelle et gardienne de mémoire
Avec sa relecture de Giselle en 2016, Akram Khan transpose le ballet dans un univers contemporain chargé de tensions sociales. Les personnages évoluent dans un monde d’exclus, de migrants et de classes ouvrières broyées par des systèmes de domination. Dans cette vision puissante et dramatique, Myrtha devient la cheffe d’un collectif de femmes sacrifiées, protectrice d’une mémoire douloureuse, mais aussi juge intransigeante. Elle n’est plus une figure isolée, mais une autorité enracinée dans un corps collectif, portée par une danse vibrante, organique, chargée d’énergie tellurique et de puissance rituelle.
1. Un corps organique et guerrier
Le corps de Myrtha chez Akram Khan est ancré, vivant, plein de tension contenue. Il se construit par des impulsions musculaires internes, des ondulations rythmées et une articulation puissante des appuis. Sa gestuelle emprunte au kathak (danse traditionnelle du nord de l’Inde) et à la danse contemporaine.
Myrtha n’est plus l’image glacée d’un fantôme romantique, mais une femme debout, puissante, portée par la mémoire collective. Son énergie circule par vagues, ses bras dessinent des figures circulaires tranchées, ses pieds frappent le sol avec force.
Elle est à la fois prêtresse, meneuse et survivante, marquée par la souffrance, mais redressée par la force. Sa danse est physique, viscérale, sans ornement, mêlant secousses, ancrage, et regards perçants.
2. L’espace : le cercle communautaire des opprimés
L’espace dans lequel évolue Myrtha n’est plus une clairière enchantée, mais un lieu de mémoire et de réparation. Elle se tient au centre de cercles humains, entourée par les autres “Wilis”, qui ne sont plus des esprits, mais des corps bien vivants, solidaires dans le trauma et la révolte.
Myrtha organise l’espace en structures rituelles : rassemblements, marches rythmées, frappes au sol, spirales collectives. Elle incarne une autorité fédératrice, celle d’une femme qui rassemble les souffrances, les transforme en puissance.
Elle ne flotte pas : elle frappe, elle guide, elle active la mémoire des corps autour d’elle. Elle utilise le sol comme base d’expression et de domination, inscrivant sa présence dans la matière.
3. Temps, flux et relation aux autres personnages
Le temps de la Myrtha d’Akram Khan est pulsé, martelé, parfois syncopé. Elle agit par impulsions brèves, par enchaînements soudains et maîtrisés. Sa gestuelle, bien que rituelle, n’est jamais figée : elle avance par à-coups, par poussées internes.
Son flux est dense et contenu, comme une énergie concentrée prête à exploser. Elle transmet la colère du groupe, mais aussi une forme de dignité contenue, une résilience.
Ses relations avec les autres sont verticales mais aussi solidaires : elle incarne la voix collective, l’ordre nécessaire à la reconstruction. Face à Albrecht, elle ne juge pas seule, elle porte le jugement du groupe, relayé par une dynamique de groupe dense et unie.
Dans la version d’Akram Khan, Myrtha devient une leader rituelle, incarnation de la mémoire blessée et du pouvoir féminin collectif. Sa danse ancrée, organique et pulsée traduit une autorité humaine et politique, née d’un passé de violence et de silences. Elle est une gardienne, une cheffe, une meneuse de luttes silencieuses et de reconquêtes identitaires. Par son corps, elle relie la douleur à la puissance, la perte à l’espoir.
Dossier - La Myrtha de Dada Masilo
Myrtha chez Dada Masilo – La sangoma vengeresse
Dans sa version de Giselle créée en 2017, la chorégraphe sud-africaine Dada Masilo propose une relecture puissante et engagée du ballet romantique. Elle y injecte une énergie nouvelle, ancrée dans les réalités sociales et les traditions africaines. Dans cette version, Myrtha n’est plus une reine éthérée ni une gardienne rigide, mais une sangoma – une prêtresse-guérisseuse, figure rituelle ambivalente, entre autorité spirituelle et colère contenue. Par sa gestuelle, sa parole et sa présence, elle incarne un pouvoir collectif, guérisseur et punitif, enraciné dans la mémoire des femmes blessées.
1. Un corps sacré, traversé par le rythme et l’ancestralité
La Myrtha de Dada Masilo est une figure corporelle et vocale. Elle ne se contente pas de danser : elle parle, crie, respire, marquant une rupture forte avec la tradition romantique du silence. Son corps est dense, mobile, charnel, traversé de secousses, de contractions et de frappes rituelles.
Elle danse pieds nus, sur une terre réelle, dans une gestuelle mêlant danse contemporaine, théâtre corporel et vocabulaire traditionnel sud-africain. Les bras frappent l’air, le buste se contracte, les jambes piétinent en rythme : chaque geste parle, réveille, ordonne.
La figure est plus qu’un individu : c’est une énergie collective incarnée, celle d’une lignée de femmes blessées qui se tiennent debout. Son corps est aussi un passage, entre le monde des vivants et celui des morts.
2. L’espace : le cercle rituel de la communauté blessée
Myrtha évolue dans un espace circulaire, communautaire, au sein d’un groupe de femmes devenues les “Wilis” de Masilo : elles ne sont plus des esprits, mais des femmes trahies, réveillées, affirmant leur colère.
Elle centre les trajectoires, souvent placée au milieu du groupe, porteuse d’une parole et d’un rituel collectif. L’espace devient un lieu de révolte partagée. La scène est nue, marquée par la lumière crue et les frappes percussives, souvent ponctuées de cris ou de souffles.
Elle organise des séquences rituelles, souvent composées de piétinements syncopés, d’unissons dynamiques, de ruptures nettes. Elle domine l’espace par l’impact sonore autant que visuel.
3. Temps, flux et relation aux autres
Le temps dansé de Myrtha est impulsif, rythmique, soutenu par les percussions africaines composées par Philip Miller. Elle fonctionne par phrasés brefs, scandés, intenses. Le flux de mouvement est nerveux, engagé, sans abandon.
Sa relation avec Giselle est frontale, directe, presque verbale. Elle n’exerce pas un pouvoir distant, mais un commandement incarné : elle exige, elle désigne, elle convoque. Son rapport au prince est tout aussi radical : il n’est pas jugé, mais confronté, pris à partie dans un acte collectif de justice.
La relation au groupe est primordiale : elle est portée par le chœur, mais elle le guide. C’est une figure de chef et de mémoire.
Chez Dada Masilo, Myrtha devient une figure contemporaine de la justice féminine, mêlant spiritualité, théâtre corporel et expression politique. Elle ne punit pas dans le silence romantique : elle crie, elle frappe, elle agit. Elle ne représente pas la vengeance personnelle, mais la colère d’un groupe, d’un peuple, d’une mémoire partagée. À travers elle, Masilo donne à Giselle une voix politique féministe, portée par un corps en révolte, un souffle rythmique et une présence incandescente.
Séance 4 : Giselle et le Prince : l’évolution d’un duo
Situation 1 : Observation et analyse des duos Giselle / Prince
Objectif : Analyser l’évolution de la relation entre Giselle et le Prince du début de l’acte I à la fin de l’acte II, dans quatre versions chorégraphiques, en portant une attention particulière à la question du pardon ou du refus de pardon.
Consignes :
Lire individuellement les dossiers sur chaque version de Giselle.
Visionner les extraits vidéo proposés.
Compléter collectivement un tableau comparatif qui met en évidence :
Les types de relation dans chaque acte (séduction, rupture, pardon, vengeance…).
Les types de contact utilisés (fusion, opposition, domination, absence de contact…)
.Les intentions principales exprimées dans le duo.
Identifier les éléments qui traduisent une évolution relationnelle entre les deux personnages.
Giselle, Jean Coralli & Jules Perrot, 1841.
Giselle, Mats Ek, 1982 (Ballet Cullberg).
Giselle, Akram Khan, 2016 (English National Ballet).
Giselle, Dada Masilo, 2017 (South African Dance Company).
Le duo Giselle /Le prince | Giselle (Coralli & Perrot, 1841) | Mats Ek (1982) | Dada Masilo (2017) | Akram Khan (2018) |
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Corps (technique, segments, langage corporel) | ||||
Espace (niveaux, orientation, rapport au sol) | ||||
Temps (rythme, vitesse, contrastes) | ||||
Flux (continu, saccadé, ruptures) | ||||
Poids (légèreté, ancrage, suspensions | ||||
Relation (partenaire, groupe, spectateur) |
Situation 2 : Improvisation à deux : explorer les types de relations
Objectif : Expérimenter physiquement différents types de relation dans le duo Giselle / le Prince, en s’inspirant des versions chorégraphiques étudiées.
Consignes : En binôme, choisir deux états relationnels observés dans les versions de Giselle (ex. : séduction / rupture, confiance / domination, amour / pardon…).
Improviser autour de ces états en explorant différents types de contact :Contact fusionnel (portés, appuis, étreintes douces). Contact conflictuel (tensions, résistances, éloignements). Absence ou refus de contact (rupture, détournement du regard, isolement). Jouer sur la progression émotionnelle : faire évoluer la relation dans le temps de l’improvisation (par exemple : du lien à la rupture ou de la méfiance au pardon). Noter les gestes ou intentions que vous souhaitez garder pour la phase de composition.
Situation 3 : Composition et présentation du duo
Objectif : Créer un duo dansé qui met en jeu l’évolution de la relation entre Giselle et le Prince, en s’appuyant sur les styles chorégraphiques explorés.
Consignes : En binôme, composer un duo de 1 à 2 minutes.
Intégrer au moins deux types de contact ou de positionnement corporel. Faire évoluer la relation (de la proximité à la distance, de l’harmonie au conflit, etc.). S’inspirer clairement d’une des versions de Giselle étudiées. Donner un titre ou une intention à votre duo. Présenter votre travail devant le groupe.
En tant que spectateur, essayer de reconnaître la version de Giselle évoquée, et analyser : les qualités de mouvement., la progression de la relation., les types de contact utilisés.
Dossier - Giselle de Coralli et Perrot : Le duo Giselle/le prince - Le lien dansé
Giselle et le Prince chez Coralli & Perrot – Du charme à la grâce du pardon
Créé en 1841 à l’Académie royale de musique, Giselle s’impose comme l’une des œuvres emblématiques du ballet romantique. La relation entre Giselle et Albrecht, prince dissimulé sous une fausse identité, évolue au fil de deux actes aux atmosphères radicalement opposées : la clarté joyeuse du village au premier acte et l’univers spectral et nocturne des Wilis au second. Leurs duos traversent ces deux mondes et témoignent d’un lien qui se métamorphose, allant de la séduction insouciante à un pardon surnaturel, dans une construction dramatique où la danse incarne avec force l’émotion, la rupture, puis la grâce.
1. Acte I – Début : une idylle insouciante
Au lever de rideau, le lien entre Giselle et le prince déguisé se construit dans une atmosphère de jeu, de découverte et de légèreté. Giselle se laisse approcher avec une naïveté touchante, tandis qu’Albrecht déploie un charme séducteur tout en dissimulant sa condition sociale. Le pas de deux est fondé sur une harmonie apparente : la gestuelle est vive, équilibrée, ponctuée de portés légers et de pirouettes synchrones. Les appuis sont stables, les déplacements dessinent des lignes circulaires, symboles d’une relation en construction. Le contact entre les corps est franc mais pudique, incarnant les codes galants de l’époque. Tout semble dire la promesse d’un amour simple et pur, jusqu’à ce que la dissimulation d’Albrecht vienne en briser l’illusion.
2. Acte I – Fin : l’éclatement du lien
Le basculement intervient avec la révélation de la trahison. Giselle comprend qu’elle a été trompée, qu’Albrecht est fiancé à une autre. La dynamique du duo se désagrège immédiatement. La danse n’est plus dialogue mais fuite. Giselle se détourne, refuse les contacts, recule. Albrecht, impuissant, tente de maintenir le lien, tend les bras, cherche le regard, mais elle s’effondre. C’est seule qu’elle rejoue les fragments de leur duo dans une sorte de délire, comme si le corps cherchait encore à comprendre ce qui vient d’être détruit. Le langage classique, pourtant préservé, se déstructure émotionnellement : les sauts deviennent instables, les gestes saccadés, les appuis incertains. Le pas de deux devient une forme d’errance chorégraphique, une tentative vaine de retenir ce qui se défait.
3. Acte II – Un duo suspendu vers le pardon
Dans l’univers spectral du second acte, la relation se réinvente. Giselle, devenue Wili, est censée participer à la mise à mort d’Albrecht. Pourtant, elle choisit de le protéger. Leur duo se reconstruit alors dans une atmosphère suspendue, presque sacrée. Giselle revient sans colère, guidée par une douceur qui dépasse le chagrin. Le contact retrouve sa place, mais sous une autre forme. Les portés sont lents, amples, presque aériens. Les gestes s’étirent dans le silence, portés par une fluidité qui contraste radicalement avec la tension de l’acte précédent. On y retrouve certains motifs de leur premier duo, mais ralentis, éthérés, comme lavés de la trahison. Giselle guide Albrecht dans l’espace, l’aide à se relever, le soutient physiquement et symboliquement. Dans l’ultime tableau, elle s’éloigne, lui adresse un dernier regard, et disparaît. Le pardon, sans jamais être exprimé par des mots, est entièrement contenu dans le mouvement, dans cette grâce offerte à celui qui l’a trahie.
Dans la version de Coralli et Perrot, la relation entre Giselle et le Prince traverse une trajectoire complète, du ravissement naïf au pardon sublime. Le pas de deux évolue ainsi d’un jeu amoureux codifié à une déclaration muette de réconciliation. L’absence ou la qualité du contact physique devient la clef de lecture de leur évolution : à la fusion joyeuse succède la distance tragique, avant que le duo ne renaisse dans l’épure du pardon. La danse romantique trouve ici l’une de ses plus belles expressions : faire du geste l’écho du cœur, et du duo l’espace de la vérité intérieure.
Dossier - Giselle revisitée par Mats Ek : Le duo Giselle/le prince - Corps à nu
Giselle et le Prince chez Mtas Ek – Le duo comme renaissance
Créée en 1982, la version de Giselle par Mats Ek transpose le célèbre ballet romantique dans un univers réaliste et psychiatrique, marqué par la dureté des milieux sociaux et la complexité des rapports affectifs. Le chorégraphe suédois s’éloigne de l’esthétique éthérée du XIXe siècle pour proposer une lecture corporelle, charnelle et psychologique. Dans cette réécriture, le duo Giselle / Albrecht traverse des états extrêmes : désir, trahison, dérèglement, puis pardon. L’amour n’est pas idéalisé, mais ancré dans le réel, et la gestuelle des corps exprime la vulnérabilité humaine dans sa forme la plus brute. Au cœur de ce pas de deux, on découvre une relation qui se construit dans la contradiction, mais aboutit à une forme de lâcher prise émotionnel et de rédemption.
1. Acte I – Un lien inégal, entre jeu, désir et naïveté
Dans le premier acte, la relation entre Giselle et Albrecht est déséquilibrée, mais fondée sur une attirance sincère. Albrecht est séduit par la naïveté de Giselle, sa spontanéité, sa liberté. Il la charme, la pousse à l’excès, rit d’elle, tout en cherchant réellement à la conquérir. Le duo est traversé par une gestuelle nerveuse, sautillante, ancrée dans le quotidien. Les contacts sont francs, directs, parfois intrusifs. Albrecht prend les mains de Giselle, l’enlace brusquement, l’encourage à se livrer.
Giselle, vive et fragile, répond à ses sollicitations avec innocence. Elle rit, se laisse emporter, puis se raidit, troublée. Leurs déplacements sont linéaires, rapides, presque accidentés, dessinant une relation faite de ruptures et de retrouvailles.
Dans cette première partie, le duo révèle une asymétrie affective, mais aussi un besoin de contact sincère. L’amour se construit dans l’urgence et le manque.
2. Acte I – La chute : basculement vers la crise
Quand Giselle découvre la vérité sur Albrecht, c’est son monde intérieur qui s’écroule. Sa gestuelle s’enraie. Elle tremble, se cogne, se désaxe. Le duo devient le théâtre d’un dérèglement psychique. Albrecht tente d’expliquer, de rattraper, mais Giselle lui échappe. Elle se retire, se débat, se cogne contre les murs invisibles de son propre désarroi.
Il n’y a pas de violence dans leur interaction, mais une perte totale de synchronisation. Albrecht reste présent, désemparé, cherchant à renouer. Mais Giselle, perdue dans ses souvenirs, rejoue seule des gestes du duo, tordus, comme brisés.
Le lien se dissout, non par rejet, mais par saturation émotionnelle. Le duo se transforme en monologue corporel, où chacun évolue seul dans un espace partagé. C’est dans cette désynchronisation que la douleur s’inscrit.
3. Acte II – Un pardon nu, sans défense
Le second acte marque une métamorphose. Giselle est désormais une figure fantomatique, mais non surnaturelle. Elle appartient à un monde de femmes enfermées, traumatisées. Albrecht revient, non plus séducteur, mais dépouillé, fragile, à nu – littéralement, puisqu’il finit la scène dans sa nudité, comme réduit à l’essence de l’homme qu’il est devenu.
Leur pas de deux est l’un des plus marquants du ballet : il ne repose plus sur le désir ou la possession, mais sur l’écoute, le soin, la vulnérabilité partagée. Giselle guide Albrecht avec douceur. Elle pose les mains sur son corps tremblant, le relève, le soutient. Leurs gestes sont fluides, sobres, désentravés, traversés par une tendresse nouvelle. Le pardon est ici corporel, muet, mais entier.
Quand elle le quitte, c’est sans violence, sans pathos. Elle l’abandonne apaisée, et lui reste seul, recroquevillé, comme un enfant. La nudité d’Albrecht est un acte de renoncement et de renaissance, un dépouillement symbolique après lequel la réconciliation devient possible.
Chez Mats Ek, le duo Giselle / le Prince est un chemin de révélation émotionnelle. Il commence dans le trouble du désir, traverse la tempête du désespoir, et s’achève dans une forme de paix désarmée. Contrairement aux apparences, l’amour existe pleinement dans cette version : il ne s’illustre pas par la grâce idéale, mais par la confrontation à soi-même, à l’autre, et au réel. Ce pas de deux est l’un des plus bouleversants du répertoire contemporain : il montre que pardonner, c’est oser toucher et être touché, sans masque ni défense.
Dossier - Giselle d’Akram Khan, Le duo Giselle/le prince - Corps en tension
Giselle et le Prince chez Akram Khan – De la fracture sociale à l’intimité rituelle
En 2016, Akram Khan livre une relecture contemporaine et politique de Giselle, en collaboration avec l’English National Ballet. Il place l’histoire dans le contexte des travailleurs migrants exploités par des élites industrielles, redéfinissant chaque personnage en fonction de rapports de domination. Dans ce monde, le duo entre Giselle et Albrecht devient une métaphore chorégraphique des inégalités, de la violence des classes, mais aussi de la puissance du lien émotionnel. Loin de la légèreté romantique, le pas de deux est ici physique, brutal, organique, et évolue vers une forme d’intimité rituelle, où l’amour ne gomme pas la blessure, mais cherche à la traverser.
1. Acte I – Début : désir, distance et déséquilibre
Au commencement, le lien entre Giselle et Albrecht est marqué par l’attirance, mais aussi par l’inégalité. Lui appartient au monde des “élus”, elle à celui des exclus. Cette tension se lit dans la structure même de leur duo. Les contacts sont souvent initiés par Albrecht, qui tente de séduire, d’attirer, de convaincre. Giselle, quant à elle, semble à la fois attirée et méfiante. Les portés sont instables, le regard souvent fuyant, les gestes retenus.
Le pas de deux est ancré dans le sol, traversé de secousses et d’impulsions musculaires, où la fluidité est sans cesse rompue. Les corps ne s’enlacent pas : ils se testent, se repoussent parfois. Le contact passe par le poids, les appuis, la force, comme si chaque tentative de lien se heurtait à une tension sociale sous-jacente. L’amour naît ici dans la fracture, dans un déséquilibre que la chorégraphie ne cherche pas à masquer.
2. Acte I – Fin : le rejet violent
La révélation de la trahison provoque un effondrement sans appel. Giselle comprend qu’elle n’était qu’un passage, un divertissement pour un homme d’un autre monde. Contrairement à la version romantique, elle ne s’effondre pas dans la folie : elle explose.
Le duo se désintègre dans une violence corporelle frontale. Giselle repousse Albrecht, le frappe, le fait tomber. Elle utilise le contact non plus comme lien, mais comme arme. Le corps de Giselle devient moteur d’émancipation et de colère, dans un langage chorégraphique inspiré du kathak, fait de frappes au sol, de contractions, de spirales tendues.
Albrecht, quant à lui, tente de recoller les fragments, mais il est physiquement rejeté. La scène ne montre pas un désespoir silencieux, mais un refus clair de toute réconciliation. La rupture est brutale, définitive, et le pas de deux devient une scène de combat. La tension est si forte que même la musique semble s’éteindre dans certaines sections, laissant les corps crier.
3. Acte II – Une intimité réparatrice
Au second acte, le duo se reconstruit dans un autre espace : celui des morts, ou plutôt des esprits blessés. Le monde est devenu rituel, et la danse, une tentative de réparation. Cette fois, c’est Giselle qui prend l’initiative du contact. Elle ne pardonne pas au sens classique du terme, mais elle reconnaît la blessure et décide de s’élever au-delà.
Leur duo retrouve une forme de circularité, les gestes s’enchaînent avec lenteur, portés par une musique souterraine. Les corps s’approchent, se soutiennent, s’étreignent brièvement. La gestuelle reste tendue, jamais totalement relâchée. Le poids du passé est là.
Giselle touche le visage d’Albrecht, l’enlace un instant, mais repart. Ce n’est pas une réconciliation fusionnelle : c’est un acte de conscience, un passage vers une autre étape. Le duo devient un espace de mémoire partagée, presque sacré. Le contact n’est plus de l’ordre de la possession, mais de l’offrande. Et lorsque Giselle disparaît, elle ne fuit pas : elle libère.
Chez Akram Khan, le pas de deux entre Giselle et le Prince n’a rien d’un divertissement romantique. Il est affrontement, prise de conscience, lutte et reconstruction. Le lien n’est jamais évident : il se cherche, se brise, se réinvente dans un autre plan, au-delà du monde des vivants. L’évolution de la relation, du désir fragile à l’intimité réparatrice, fait du duo un véritable lieu de transformation sociale et émotionnelle, où la danse devient un langage de mémoire et de vérité.
Dossier - Giselle de Dada Masilo, le duo déconstruit
Giselle et le Prince chez Dada Masilo – Danser la rupture et l’insoumission
Dans sa réinterprétation de Giselle en 2017, la chorégraphe sud-africaine Dada Masilo interroge les fondements du ballet romantique à travers une lecture féministe, physique et politique. Le duo entre Giselle et le Prince n’est plus ici une histoire d’amour idéalisé ou de pardon rédempteur. Il devient un espace de confrontation, où le contact dansé exprime le mensonge, la trahison et surtout la décision de ne pas pardonner. Masilo ne cherche pas à reconstruire un langage néo-romantique : elle impose une nouvelle grammaire corporelle, hybride, mêlant danse classique, contemporaine, rituels africains et gestes percussifs. Le pas de deux est alors déconstruit dans sa fonction narrative traditionnelle pour devenir un lieu de résistance physique, où Giselle refuse le rôle de victime, et affirme sa puissance.
1. Acte I – Une rencontre troublée par la tension sociale
Le début de la relation entre Giselle et Albrecht est marqué par une attraction évidente, mais entachée d’une hiérarchie implicite. Le Prince est un homme dominant, socialement et corporellement. Giselle, jeune femme pleine de vie, entre dans la danse avec enthousiasme, mais conserve une énergie plus contenue, plus concentrée. Le pas de deux commence par des gestes de complicité, où la main tendue, les regards francs et les tours de couple rappellent le vocabulaire romantique, mais rapidement, la percussion corporelle, les frappes au sol et les appuis syncopés viennent troubler la douceur initiale.
Le duo est structuré en opposition : le corps du Prince occupe l’espace avec assurance, tandis que Giselle se replie, observe, réagit. Le lien est dynamique mais déjà déséquilibré. Cette désynchronisation contient en germe la fracture qui surviendra plus tard. Le contact, s’il existe, est toujours interrogé, interrompu ou repoussé.
2. Acte I – Fin : Giselle se libère par le refus
La révélation de la trahison provoque chez Giselle non pas un effondrement, mais une explosion de colère. Dada Masilo refuse la représentation de la folie passive : sa Giselle devient actrice de sa rupture. Le pas de deux se transforme en duel. Elle ne pleure pas, elle frappe, elle saute, elle éructe. Le corps est secoué par des impulsions internes, dirigées contre le partenaire et contre elle-même.
Les gestes sont angulaires, projetés, les portés sont absents, remplacés par des rebonds, des coups de bras tranchants, des fuites nettes. Le Prince tente un contact, mais il est rejeté. La scène devient un manifeste dansé : Giselle ne veut pas être sauvée, elle veut qu’on entende sa douleur et sa rage.
La force de cette scène réside dans l’inversion des rôles : ce n’est plus Albrecht qui domine la narration, mais Giselle qui affirme, par la danse, son refus de rester dans le silence. Le duo se défait, non dans la chute romantique, mais dans une décision assumée de rupture.
3. Acte II – Une justice dansée, sans pardon
Le second acte, traditionnellement celui du pardon et de la rédemption, devient ici un rituel de justice chorégraphique. Giselle, désormais une Wili, ne protège pas Albrecht : elle le confronte à sa faute. Le duo est froid, tendu, presque cérémoniel. Giselle danse parmi les siens, femmes blessées et vengeresses. Le Prince est isolé, entouré. Quand le contact a lieu, c’est par frappes, secousses ou appuis directs, jamais dans l’élan.
Le vocabulaire est précis, souvent inspiré des danses africaines de transe ou d’appel : pieds martelés, torses projetés, bras fouettés. Giselle mène la danse, elle domine la scène, regarde son ancien amant sans clémence.
Le duo ne s’achève pas par une réconciliation mais par une mise à l’écart du Prince, que Giselle regarde une dernière fois, puis abandonne. Ce n’est pas une fin tragique, mais une affirmation de puissance individuelle et collective. Le corps de Giselle, loin d’être détruit, s’élève en devenant porteur de sens.
Chez Dada Masilo, le pas de deux n’est plus l’espace d’un amour romantique, mais celui d’une réappropriation de soi par le mouvement. Le lien entre Giselle et le Prince est construit, brisé, et refusé. À la place d’un pardon suspendu, elle choisit la libération. Le duo devient une scène de confrontation entre désir et domination, trahison et justice, et marque la fin d’une vision romantique de la femme sacrifiée. Danser à deux, chez Masilo, c’est aussi savoir se séparer pour survivre, et réaffirmer, dans la danse, un pouvoir proprement politique.
Séance 5/6/7 - Faire des choix : danser sa Giselle, Myrtha ou le duo
Objectifs de la séance :
Identifier un axe de travail personnel (solo ou duo), et le contextualiser dans l’œuvre et son esthétique.
Explorer les premiers matériaux par l’improvisation.
Construire les critères d’évaluation en tant qu’interprète, chorégraphe et spectateur, en lien avec les compétences travaillées depuis le début de la séquence.
Situation 1 – Choisir son rôle et poser son intention
Consignes :
Choisir ce que tu souhaites danser pour la création finale :
Un solo de Giselle,
Un solo de Myrtha,
Un duo Giselle / Prince.
Pour cela :
Identifier le moment précis de l’œuvre (acte I ou II, début ou fin),
Choisir la version chorégraphique de référence (Coralli / Perrot, Mats Ek, Akram Khan, Dada Masilo),
Décrire les caractéristiques de ta Giselle, ta Myrtha ou de ton duo : qualités de mouvement, types de contact, relation à l’espace, rapport émotionnel.
Expliquer l’intention artistique et narrative de ta proposition.
Outils : fiches-références, dossiers, vidéos d’extraits, tableau de synthèse à compléter.
Situation 2 – Improviser et structurer
Consignes :
À partir des choix posés, improviser sur des matériaux correspondant à l’esthétique de la pièce et à ton intention.
Explorer des mouvements représentatifs,
Tester différentes qualités dynamiques et corporelles,
Définir ton espace de jeu (sol, verticalité, trajectoires),
Faire un premier repérage musical ou choisir un silence comme support.
Commencer à structurer une courte séquence chorégraphique (30 sec à 1 min).
Outils : espace libre, musiques issues des pièces étudiées, carnet de création.
Situation 3 – Construire les critères d’évaluation
Consignes :
En groupe, formaliser les critères d’évaluation qui permettront d’analyser et d’évaluer ta création en tant que :
Danseur interprète, chorégraphe, spectateur / observateur.
Ces critères doivent :
Être en lien avec les compétences travaillées lors des 5 premières séances,
S’appuyer sur les composantes du mouvement, l’engagement corporel, la cohérence esthétique, la compréhension des œuvres et la capacité à formuler un point de vue.
Outils : tableau à compléter en classe, grille à construire à partir des AFL (déjà déclinée précédemment).
Dossier de création – Note d’intention
Objectif :
Rendre compte de ta démarche artistique à travers une note d’intention argumentée, appuyée sur les analyses de la séquence «Ma Giselle», tes expérimentations pratiques, et tes choix personnels de composition. Ce dossier accompagne ta création dansée.
1. La note d’intention personnelle
Décris ici ce que tu veux exprimer à travers ta création :
Qui danses-tu (Giselle, Myrtha, le duo) ?
Quel moment dans l’œuvre ?
Quelle émotion veux-tu transmettre ?
Quelle vision personnelle veux-tu faire émerger ?
2. La problématique abordée
Formule une question à laquelle ta création cherche à répondre.
Exemples : Comment traduire la transformation émotionnelle de Giselle par le mouvement ? Comment danser le refus dans le corps de Myrtha ? Comment représenter l’évolution du lien entre deux êtres à travers le pas de deux ?
3. Mes ressources documentaires
Liste les documents, extraits vidéo, dossiers analytiques que tu as utilisés pour nourrir ta réflexion (extraits des pièces, dossiers sur les chorégraphes, tableaux comparatifs, textes...).
4. Les artistes ayant abordé ce sujet
Présente brièvement un ou deux chorégraphes dont le travail t’a inspiré :
Leur vision du personnage ou du duo,
Leur langage corporel ou musical,
Ce que tu retiens de leur esthétique.
5. Ma démarche de création
Explique comment tu as construit ta séquence dansée :
Étapes de travail, recherches par improvisation, essais/rejets, réécritures.
Décisions prises sur l’espace, les dynamiques, les silences ou la musique.
6. Les exercices d’échauffement préparatoires
Décris un ou deux exercices d’échauffement que tu as utilisés pour t’aider à entrer dans ton personnage, travailler un geste spécifique ou une dynamique liée à ton intention.
7. Les consignes d’improvisation utilisées
Écris les consignes qui t’ont aidé à improviser et dégager ton matériel de mouvement.
8. Les consignes de création fixées
Précise ici les choix formels de composition :
Organisation spatiale, durée, structure (début / rupture / fin),
Travail musical, rapport au silence, types de contacts.
9. Mon analyse de la création
Fais un retour critique sur ta propre création :
Ce qui fonctionne selon toi,
Ce que tu as encore à travailler,
Ce que tu as appris sur toi, ton corps, ton regard artistique à travers cette expérience.
Activité 8 - Co-évaluation - présenter et questionner sa Giselle
Objectifs :
Présenter sa création dansée finalisée devant le groupe.
Mettre en œuvre une autoévaluation et une coévaluation constructive.
Mobiliser ses capacités de spectateur critique, en lien avec les critères définis collectivement.
Consolider les compétences en interprétation, composition, et analyse.
1. Présentation dansée individuelle ou en duo
Chaque élève ou binôme présente sa création
Consignes :
Présenter la version chorégraphique de référence choisie.
Rappeler brièvement son intention artistique (tirée de la note d’intention).
Interpréter la création sans interruption (durée : 1 à 2 minutes).
2. Évaluation croisée (élève / groupe)
Consignes pour l’élève danseur :
Remplir sa grille d’autoévaluation à partir des critères définis en S5.
Répondre à la question : Qu’ai-je réussi à faire passer ?
Consignes pour les spectateurs :
Observer en s’appuyant sur les axes chorégraphie / interprétation / réception.
Noter 1 point fort + 1 suggestion d’amélioration.
Cocher le niveau de maîtrise atteint pour les quatre premiers axes de la grille.
Retour collectif et verbalisation
Temps d’échange collectif pour identifier les éléments de progression communs :
Qu’est-ce qui a bien fonctionné dans les différentes propositions ?
Quels gestes ou partis pris étaient particulièrement lisibles, originaux, sensibles ?
Quels axes de travail apparaissent prioritaires pour progresser ?
Critères d’évaluation
1.Interpréter avec engagement une partition dansée cohérente /4
Degré 1
Mouvement hésitant, intention peu lisible
Degré 2
Intention émergente, gestuelle parfois cohérente
Degré 3
Présence engagée, gestes lisibles et habités
Degré 4
Haute expressivité, nuances fines et engagement corporel affirmé
2.Mobiliser les composantes du mouvement au service de l’interprétation/4
Degré 1
Paramètres peu différenciés
Degré 2
Quelques variations dynamiques repérables
Degré 3
Bonne gestion de l’espace, du temps et de l’énergie
Degré 4
Usage précis, expressif et intentionné des composantes
3.Construire une séquence dansée avec intention et structure/4
Degré 1
Enchaînements peu lisibles ou linéaires
Degré 2
Structure identifiable mais inégalement maîtrisée
Degré 3
Construction claire et intention bien affirmée
Degré 4
Composition inventive, cohérente et maîtrisée
4.Réinvestir une esthétique chorégraphique étudiée/4
Degré 1
Références peu reconnaissables
Degré 2
Quelques éléments évoquant une esthétique connue
Degré 3
Référence identifiable et intentionnelle
Degré 4
Réappropriation singulière et expressive
5.Décrire et analyser un extrait dansé/2
Degré 1
Description partielle ou confuse
Degré 2
Observations simples mais pertinentes
Degré 3
Analyse structurée avec vocabulaire adapté
Degré 4
Analyse approfondie, nuancée et critique
6.Porter un regard critique argumenté sur une proposition chorégraphique/2
Degré 1
Jugement émotionnel non argumenté
Degré 2
Avis justifié avec quelques critères simples
Degré 3
Critique construite, articulée aux choix artistiques
Degré 4
Argumentation fine, prise de recul esthétique et historique
Un point fort | Un axe d’amélioration | |
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