THEORIE: Chapitre 3 "La danse entre narration et abstraction"

La danse entre narration et abstraction


Enseigner la danse, lycée Guillaume Apollinaire, Spécialité danse, Sophie Martinez

Giselle, Coralli Perrot, 1841

Giselle est une paysanne, qui vit avec sa mère dans une petite maison à la campagne (décor du premier acte). Hilarion, le garde-chasse, est amoureux d’elle. Mais elle lui préfère un beau jeune homme rencontré récemment. Hilarion, poussé par la jalousie, lui révèle que le mystérieux jeune homme n’est autre qu’Albrecht, un duc déjà fiancé à une jeune fille de la noblesse. Le choc est trop rude : Giselle sombre dans la folie avant de tomber morte. Cependant, Albrecht est réellement amoureux de Giselle. Il se rend sur sa tombe, près d’un lac au bord de la forêt (décor du deuxième acte). Les willis l’entourent. Elles veulent sa perte pour venger Giselle et se venger elles-mêmes. Car les willis sont les fantômes de jeunes filles trahies par leur amoureux avant leurs noces. Elles apparaissent la nuit et forcent les hommes à danser jusqu’à mourir d’épuisement.

Ainsi ont-elles déjà tué Hilarion, venu se lamenter en ces lieux peu avant Albrecht. Giselle, devenue malgré elle une willi, s’interpose en faveur de son bien-aimé et le protège en dansant avec lui jusqu’à l’aube. Dernier tête-à-tête amoureux (et l’occasion d’un magnifique pas de deux) avant que les premières lueurs ne fassent disparaître les fantômes, et Giselle avec eux. L’amour par-delà la mort, la folie, la femme rédemptrice, le recours au fantastique issu de légendes, la jeune fille naïve et exaltée de santé fragile, sont autant de thèmes qui ancrent l’argument de ce ballet dans le romantisme.
Giselle, Acte II, Pas de deux, chorégraphie de Petipa (Natalia Osipova and Carlos Acosta, The Royal Ballet) 

The idea of a ballet on the willis germinates in the imagination of the writer Théophile Gautier while reading De l'Amérique by Heinrich Heine. “What a pretty ballet we would make with that!” exclaims Théophile Gautier. He then asks the help of the playwright Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges for the argument. Adolphe Adam is in charge of the music. This one has already distinguished himself in another ballet in 1836, The young girl from the Danube. He therefore knows the musical constraints specific to the genre. Son of a piano teacher, pupil of Boieldieu at the Paris Conservatory and Second Prize in Rome in 1825, Adolphe Adam first turned to comic opera. Le Postillon de Longjumeau is undoubtedly his greatest operatic success. In 1840, he composed the Funeral March for the return of the ashes of Napoleon buried at the Invalides. He is therefore no stranger when he is entrusted with the composition of Giselle. This music will arouse the admiration of Tchaikovsky and even – more unexpectedly – of Saint-Saëns, who finds in it qualities of symphonist in the turn of the themes and the instrumentation. The lyricism of its musical motifs also inscribes Adam in romanticism. Giselle will remain the most famous work of his production, eclipsing another ballet written a few years later: Le Corsaire. Adam admits to enjoying writing for ballet and “seeking inspiration by looking at dancers' feet”.

Carlotta Grisi, créatrice du rôle de Giselle en 1841
Au-delà de l’argument ou de la musique, ce qui fait bien souvent de Giselle l’apogée du ballet romantique dans l’imaginaire du public, ce sont ses tutus ! Ceux-ci prennent la forme d’une jupe qui superpose plusieurs couches de tulle (ou de tarlatane, de mousseline etc. selon l’effet souhaité) et qui est fixée à la taille d’un justaucorps. Au début du XIXème siècle, la longueur du tutu arrive à la cheville de la danseuse et le justaucorps est pourvu de petites manches. La Sylphide, représenté en 1832, va généraliser ce modèle du “tutu romantique”. Au fil du temps, les manches disparaissent, et le tutu va progressivement raccourcir et se rigidifier, jusqu’à devenir le “tutu plateau” généralement utilisé pour
Le Lac des cygnes. La longueur et la fluidité du tutu romantique en fait un accessoire idéal pour suggérer le monde évanescent des willis. La couleur est bien-sûr aussi un facteur important dans la recherche de l’atmosphère. Les vingt-quatre danseuses en blanc qui apparaissent en ligne au deuxième acte de Giselle, contrastent avec les costumes colorés du premier acte, qui lui se passe dans la vie réelle. La Bayadère de Petipa/Noureev se souviendra de l’effet saisissant de “l’acte en blanc” de Giselle : le “royaume des ombres” de l’Acte III reprendra le même principe

Nicholas, 1953

From the dawn of the 20th century, the American Loïe Fuller became interested in technical progress, particularly electric lighting, to create a new type of show, kinetic ballets, where the dancers' bodies disappear to make way to abstract and colorful shapes. This visual invention would profoundly influence the choreographer Alwin Nikolaïs in the 1950s and 1960s, who made the metamorphosis of geometric bodies by light a performing art in its own right. But these chromatic symphonies have also inspired painters, such as Sonia Delaunay, František Kupka, Vassili Kandinsky or Filippo Tommaso Marinetti. The gestures of the dancers and the movements of the machines merge in an ode to speed and precipitate the bodies into modernity. All the avant-gardes will be fascinated by these rhythms and the dynamics of the lines which will find their apogee in the current of the Bauhaus of which the German Oskar Schlemmer is the appointed choreographer and his Triadic Ballet (1922) the emblematic work. This mechanized body, “metrized” one might say, is also the one that Rudolf von Laban develops when he places it in the center of his figure in volume, the icosahedron, supposed to contain all the possible directions of a moving body. It finds its echo in the film Lecture from improvisation technologies (2011) by the American choreographer William Forsythe as well as in a work by the Dane Olafur Eliasson produced for the exhibition: Movement microscope (2011).



Noumenon,

« Une forme étrange est assise et se met à bouger. Elle commence lentement, poussant des parties du corps innommées dans le tissu élastique, mais est-ce bien un corps ? Distorsion, protubérances, forme tantôt arrondie, tantôt pointue, debout ou couchée, plate ou éclatée, acéphale, inquiétante, drôle aussi, finissant par monter sur le support qui lui servait de siège pour manifester, cogner, frapper, s’imposer et revenir à son mystère... et à une nouvelle identité. Il est quasiment impossible de raconter ce commencement amorphe et sans forme d’une entité »



Beach birds for caméra, Cunningham 1993

C'est avec Merce Cunningham que commencent à se poser les problèmes de la danse moderne. Il n'y a plus de fil conducteur, plus forcément d'histoire. Vite rejoint par John Cage, il va creuser le mouvement et bouleverser les codes de la scène : tous les points de l'espace ont la même valeur, pourquoi ce rapport binaire entre la danse et la musique, chaque danseur est un soliste, il n'y a plus un chœur et un seul soliste… Il est à la charnière entre la danse moderne et postmoderne et n'entre dans aucune des deux catégories. Son travail sera utilisé dans la danse postmoderne pour le mettre en branle ou pour le continuer, avec l'idée que tout mouvement a une valeur égale. Merce Cunningham essaye de se défaire des coordinations du corps et tire au hasard des éléments du corps et des directions. Il expérimente alors des mouvements inconnus. On est en 1948 avec Untitled Solo. C'est une danse assez verticale qui décompose le mouvement sur l'axe fort de la colonne. C'est plus de l'ordre de la figure que de l'énergie circulante dans le corps. L'intérêt créatif réside dans le chemin qui mène d'une figure à l'autre. Ce travail sur l'aléatoire le conduit à faire appel à des informaticiens et à créer Lifeform, un logiciel qui crée et modélise sous la forme d'un petit personnage virtuel, des mouvements aléatoires, dans un ordre aléatoire. Le problème de la chute suivie du saut résume bien la difficulté de la mise en œuvre, et même ces erreurs sont acceptées. De la même façon, il fait travailler séparément son équipe sur la musique, sur les costumes et l'éventuel décor lumineux, et réunit l'ensemble le jour de la représentation. Ainsi il casse l'association danse-musique et travaille sur les durées. Avec Biped en 1999, il met en scène pour la première fois le logiciel Lifeform.

Beach Birds (1991) porte sur des études de la nature et prend son envol en bord de mer. Des danseurs-oiseaux se déplacent en combinaison bicolore dans des trajectoires individuelles, tout en restant membres du même groupe. Les jeux de lumières qui, par leurs variations d’intensité et de couleurs, nous transportent de l’aube au crépuscule sur une plage, accompagnent ce voyage.

Depuis la fin du 19 -ème siècle, certains chorégraphes ont choisi de ne plus raconter une histoire.



Définition des mots clefs


Narration/telling a story: narrative developed in a work, detailed presentation of facts and actions according to a chronological thread. Narration necessarily involves characters whose action is structured in time and space.

S’affranchir : se libérer d’une dépendance, s’ouvrir des espaces de liberté, se distancier de, se détacher de…

De quelles manières : Comment ? Le pluriel appelle à prendre en compte une diversité de manières et invite à nuancer les catégorisations.

Pour quelles raisons : le pluriel invite à envisager des raisons de nature différentes (contexte économique, social, culturel, politique, composante psychologique)


Les axes de questionnements possibles :

  • S’affranchir de la narration, c’est se libérer de quoi ? D’un modèle structurant, d’un mobile, d’un vocabulaire, d’une conception du corps dansant
  • Le rapport entre danse et narration a changé au fil du temps : s’agit-il d’une évolution linéaire ?
  • Sous quelles influences les liens entre la danse et la narration ont-ils évolué ?
  • Avec le 20 -ème siècle est ce que toute préoccupation narrative disparait ?
  • Comment se manifeste cette distanciation avec la narration ?
  • Quelles caractéristiques de la narration la danse a-t-elle remises en question ?
  • Quels impacts sur le sens de la danse (signification, projet, intention…) et la relation au spectateur ?


Plan

D’une danse qui raconte a une danse qui s’exprime

    Classical dance is organized around the story. Narration as a structuring modelFrom the 19th century, choreographers distanced themselves from the guardianship of the storyThe body expresses itself more than it tells

From re-questioning narration as a structuring model to a posture of refusal

  • La danse trouve sa singularité et va multiplier ses références autres que littéraires (danse multi référencée)
  • La danse ne se construit plus uniquement à partir du récit
  • Des chorégraphes adoptent une posture de refus de la narration

La danse d’aujourd’hui peut osciller entre narration et abstraction

    The panorama of dance today reveals a multitude of approaches and forms, between narration and abstractionTowards a freedom of action in the same choreographer.



Activité 1: World café


https://www.laculturegenerale.com/schema-narratif/


A partir de l'analyse du schéma narratif définir ce qui relève de la narration dans les 3 œuvres proposées

Table 1: Le lac des cygnes

Table 2: Giselle

Table 3: La Sylphide

World café 2: comprendre la 2eme partie


From re-questioning narration as a structuring model to a posture of refusal

  • La danse trouve sa singularité et va multiplier ses références autres que littéraires (danse multi référencée)
  • La danse ne se construit plus uniquement à partir du récit
  • Des chorégraphes adoptent une posture de refus de la narration

 

Réaliser des fiches résumées sur:

Table 1: Origines des propositions abstraites

Table 2: Cunningham

Table 3: Nikolais

Loi Fuller, 1892

She was the muse of the Belle Époque and a figure of Art Nouveau, celebrated by the artists of her time, be they sculptors, photographers and even filmmakers. With her famous “Serpentine Dance”, made of spirals and volutes of veils, the American Loïe Fuller freed the body from the tutu. And laid the foundations of abstraction in dance. We take a look back at the fascinating career of the very first star of contemporary dance, whose choreographic works are honored in the exhibition-event “Elles font l'abstraction”.

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Ballet triadique, 1922

Inspiré en partie par Pierrot lunaire (1912) de Schoenberg et ses observations et expériences pendant la Première Guerre mondiale, Oskar Schlemmer commence à concevoir le corps humain comme un nouveau médium artistique. Il considère que le ballet et la pantomime sont libérés du bagage historique du théâtre et de l'opéra et peuvent ainsi présenter ses idées sur la géométrie chorégraphiée, l'homme en tant que danseur, transformé par le costume, se déplaçant dans l'espace.

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Laban, 1926

Personne n’a jamais observé le mouvement en tant que tel, on a presque entièrement ignoré l’élément générateur, telle une danse au sein de l’énergie mouvante, et on est passé à côté de l’indice essentiel sur la nature mêmedu jeu énergétique. On a considéré la forme comme un facteur esthétique ou mathématique, et on n’a pas pris en compte la substance de son jeu, de sa danse avec les pouvoirs générateurs de formes et ses tensions spatio-rythmiques. Outre le mouvement des corps dans l’espace, il existe le mouvement de l’espace dans les corps...

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La danse dite « abstraite ».Dès l'aube du xxe siècle, l'Américaine Loïe Fuller s'intéresse aux progrès de la technique, notamment de l'éclairage électrique, pour créer un nouveau type de spectacles, les ballets cinétiques, où le corps des danseurs disparaît pour laisser place à des formes abstraites et colorées. Cette invention visuelle influencera profondément, dans les années 1950-1960, le chorégraphe Alwin Nikolaïs qui fera de la métamorphose de corps géométrisés par la lumière un art du spectacle à part entière. Mais ces symphonies chromatiques ont également inspiré des peintres, comme Sonia Delaunay, František Kupka, Vassili Kandinsky ou Filippo Tommaso Marinetti. Les gestes des danseurs et les mouvements des machines se confondent dans une ode à la vitesse et précipitent les corps dans la modernité. Toutes les avant-gardes seront fascinées par ces rythmes et la dynamique des lignes qui trouveront leur apogée dans le courant du Bauhaus dont l'Allemand Oskar Schlemmer est le chorégraphe attitré et son Ballet triadique (1922) l'œuvre emblématique. Ce corps mécanisé, « métrisé » pourrait-on dire, est aussi celui que développe Rudolf von Laban quand il le place au centre de sa figure en volume, l'icosaèdre, censée contenir toutes les directions possibles d'un corps en mouvement. Il trouve son écho dans le film Lecture from improvisation technologies (2011) du chorégraphe américain William Forsythe ainsi que dans une œuvre du Danois Olafur Eliasson réalisée pour l'exposition : Movement microscope (2011).

World café 3: construire la 3eme partie


La danse d’aujourd’hui peut osciller entre narration et abstraction

    The panorama of dance today reveals a multitude of approaches and forms, between narration and abstractionTowards a freedom of action in the same choreographer.


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